📕 Nous vous en avons parlé à plusieurs reprises ces derniers mois : un décret du 16 décembre 2023 prévoyait la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer des interruptions volontaires de grossesse instrumentales, jusque-là réservée aux médecins, à des conditions finalement restrictives.
En effet, les sages-femmes devaient justifier :
– du suivi d’une formation théorique en orthogénie ou d’une expérience professionnelle significative ;
– et du suivi d’une formation pratique, spécifiquement l’observation d’au moins 10 actes d’IVG par méthode instrumentale ainsi que la réalisation sous supervision d’au moins 30 actes.
Par ailleurs, le décret de décembre 2023 imposait la présence simultanée dans l’établissement d’un médecin spécialiste en orthogénie, d’un gynécologue-obstétricien, d’un anesthésiste et d’un plateau d’embolisation nécessaire à la gestion des complications éventuelles.
Sauf qu’en pratique, seuls les grands établissements répondent à ces conditions, excluant de fait les petites maternités et les établissements et services en sous-effectif.
💡 Un décret du 23 avril 2024 publié au Journal officiel le 24 avril modifie les conditions d’exercice de l’IVG instrumentale par les sages-femmes.
Le texte prévoit que l’IVG est désormais praticable par les sages-femmes aux mêmes conditions de sécurité que celles appliquées aux médecins, sans la supervision de médecins.
Cette compétence doit cependant être attestée en pratique par le suivi d’une formation théorique et pratique à l’IVG instrumentale et à la conduite à tenir en cas de complications liées à l’acte.
Ces modalités de prise en charge et de gestion des complications désormais identiques, doivent permettre d’améliorer l’accès à l’avortement sur le territoire, notamment au sein de plus petits établissements de santé.
A suivre…
Étiquette : IVG
Nous avions écrit en décembre un article au sujet du décret du 16 décembre 2023, ouvrant la possibilité aux sage-femmes de pratiquer une IVG instrumentale.
Nous nous en étions réjouies.
💡 Toutefois il semblerait que la sphère d’application du décret ne soit pas aussi importante qu’il n’y paraît.
Explications.
📕 Ce décret vient en application de la loi Gaillot du 2 mars 2022 qui allonge le délai légal pour avorter, le portant de 12 à 14 semaines. Cette loi autorise également les sages-femmes à pratiquer des IVG instrumentales en établissement de santé, afin d’élargir l’offre de soins sur l’ensemble du territoire.
📈 On sait qu’aujourd’hui, 17 % des patientes pratiquent une IVG en dehors de leur département. Ce qui témoigne d’un accès hétérogène à l’IVG sur le territoire.
Si les sages-femmes peuvent pratiquer une IVG médicamenteuse depuis décembre 2021, le décret de 2023 leur ouvre la possibilité de réaliser des IVG dites instrumentales ou chirurgicales.
❌ En réalité, ce décret pourrait limiter de manière significative la pratique des IVG instrumentales par les sages-femmes, incluant des conditions restrictives et tutélaires.
En effet, un encadrement par 3 voire 4 médecins est requis, ce qui en pratique n’est pas forcément réalisable, eu égard aux manques d’effectifs dans ce secteur. En outre, le décret ne s’applique qu’aux aux sages-femmes travaillant dans des grands établissements de santé, ce qui là encore réduit le prisme des possibilités.
Claire Wolker, Co-présidente de l’Association nationale des sages-femmes orthogénistes, a souligné que l’IVG instrumentale est une intervention plutôt simple, moins à risque qu’un accouchement à terme lesquels sont massivement pratiqués par des sages-femmes.
🏛 Dans ces conditions, le décret ne s’inscrit pas du tout dans l’esprit de la loi Gaillot. Ce qui a conduit plusieurs associations à déposer un recours en Conseil d’État, tendant à l’annulation dudit décret.
Pourquoi l’IVG dans la Constitution est une victoire en demi-teinte
La Loi constitutionnelle du 8 mars 2024 relative à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse, comporte un article unique, qui modifie l’article 34 de la Constitution pour y inscrire que « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».
🇫🇷 C’est historique car la Constitution française n’a pas été modifiée depuis 2008. Et aussi la France devient le premier pays au monde à constitutionnaliser l’IVG !
Si on peut se réjouir de cette avancée significative, il faut tout de même en nuancer les conséquences concrètes, relatives en pratique.
D’abord, ce n’est pas le droit à l’IVG qui a été constitutionnalisé, mais la liberté des femmes à recourir à l’IVG.
Juridiquement, ce n’est pas la même chose, et la différence est de taille.
Le droit implique une créance, c’est-à-dire une relation entre un débiteur et un créancier lequel doit mettre en œuvre des actions concrètes. Ce droit lui est donc opposable. C’est ce que l’on trouve en matière de droit au logement. En conséquence, un créancier défaillant peut voir sa responsabilité engagée et ainsi être condamné.
A l’inverse, la liberté, d’essence libérale, implique l’absence d’entrave à exercer telle ou telle prérogative. Comme la liberté d’aller et venir par exemple, ou encore la liberté du commerce et de l’industrie.
La liberté implique donc une contrainte moins importante qui pèse sur l’État, celui-ci n’ayant juste pas à entraver cette prérogative, mais rien ne l’oblige juridiquement à mettre en œuvre des actions pour la rendre effective.
Ainsi dans le cas de l’IVG, la liberté ne remet pas en cause la clause de conscience des médecins, la problématique des déserts médicaux ni le problème d’accès effectif à l’IVG dont on sait qu’il n’est pas uniforme sur l’ensemble du territoire.
Ensuite, si la liberté est constitutionnalisée, ses modalités ne le sont pas. Dans ces conditions, le législateur pourrait tout à fait revenir sur certaines conditions d’accès, tels que les délais de recours à une IVG.
🌈 Enfin, s’agissant du public visé, en utilisant le terme de « femmes », les parlementaires mettent de côté plusieurs catégories de populations susceptibles de tomber enceinte tels que les hommes transgenres.
📌 En conclusion, si cette avancée est historique, éminemment symbolique, et qu’elle envoie un message très fort de par le monde, il ne faut pas oublier, et l’actualité malheureusement nous le rappelle régulièrement, qu’en matière de droit des femmes, rien n’est acquis nulle part, et que les droits des femmes et des minorités restent menacés.