Obligation pour l’employeur de protéger la victime présumée en cas de harcèlement sexuel

👩‍⚖️ C’est ce qu’explique le juge judiciaire s’agissant de faits de violences sexuelles au travail :

❎ Dans la première affaire, une salariée victime de harcèlement sexuel au travail, a déposé plainte, qui a abouti à la condamnation de l’auteur.
L’employeur quant à lui, a sanctionné l’auteur du harcèlement par un avertissement. Toutefois, il n’a mis en œuvre aucune mesure destinée à l’éloigner du poste occupé par la salariée victime.

📛 Dans cette affaire, la Cour de cassation a retenu que le fait de ne prendre aucune mesure pour éloigner l’auteur de harcèlement sexuel du poste occupé par la victime constituait « un manquement à l’obligation de sécurité suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail » (Cass. soc., 17 février 2021, n°19-18149).

❎ Les faits à l’origine de la seconde affaire sont similaires : une salariée a signalé des faits de harcèlement sexuel à son employeur, lequel n’a mis en œuvre aucune mesure pour la protéger ou faire cesser les faits.
La salariée a alors effectué une demande de rupture conventionnelle de son contrat de travail.

📛 La Cour de cassation a estimé que la situation de la salariée étant « devenue insupportable et dont les effets [pouvaient] encore s’aggraver » constituait une violence. La salariée ne pouvait donc pas donner un consentement libre et éclairé à la rupture conventionnelle, d’où condamnation de l’employeur à lui verser des dommages et intérêts (Cass. Soc. 4 novembre 2021, n°20-16.550).

Ainsi conformément à la loi, tout employeur informé de faits constituant un harcèlement sexuel est tenu non seulement d’en sanctionner l’auteur, de manière nécessaire et proportionnée, mais encore de protéger le salarié victime de ces agissements. A défaut de quoi, l’employeur engage sa responsabilité et s’expose au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

Harcèlement sexuel : la décision du juge pénal ne lie pas le juge civil

La relaxe par le juge pénal pour défaut de preuve de l’élément intentionnel du harcèlement sexuel n’empêche pas le juge civil de reconnaître le harcèlement sexuel. C’est ce qu’a dégagé la Chambre sociale le 25 mars 2020.

La justification : pour que le harcèlement sexuel soit constitué au pénal, il faut prouver l’élément intentionnel c’est-à-dire l’intention de harceler, ce qui n’est pas nécessaire en droit du travail. La Cour de cassation estime en effet que « la caractérisation de faits de harcèlement sexuel en droit du travail […] ne suppose pas l’existence d’un élément intentionnel ».

Ainsi, même si le mis en cause est relaxé devant le juge pénal pour défaut d’élément intentionnel, la/le plaignant.e pourra quand même être reconnu.e comme victime devant le juge civil et voir son préjudice réparé.

Et dans la continuité de la jurisprudence en matière de harcèlement sexuel au travail, une décision de relaxe du chef du délit de harcèlement sexuel n’emporte pas, en soit, disparition de la faute grave. Le licenciement pour faute grave prononcé par l’employeur peut rester parfaitement justifié (Cass., soc., 14 octobre 2009, n°08-42256).

Le harcèlement sexuel constitue une faute grave en droit du travail

👩‍⚖️ C’est une jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui depuis 2002, applique une tolérance zéro en la matière : les faits de harcèlement sexuel sont qualifiés de faute grave et justifient le licenciement de l’auteur des faits. La Chambre sociale l’a encore rappelé le 27 mai 2020.

👨‍⚖️ La jurisprudence administrative est de son côté plus « frileuse », qui évoque des comportements inappropriés ou de nature à justifier une sanction disciplinaire ; c’est notamment ce qu’a dégagé la Cour Administrative D’Appel De Douai en 2012.

✅ Mais en 2013, le Conseil d’État d’État a jugé que la mise à la retraite d’office et la radiation du corps des ministres plénipotentiaires d’un ambassadeur auteur de harcèlement sexuel ne constitue pas une sanction disproportionnée.

En 2014, la juridiction suprême de l’ordre administratif a estimé que les faits de harcèlement justifient l’exclusion temporaire de fonctions de 2 ans décidée par l’employeur.

Plus récemment en 2019, le Conseil d’État a validé la sanction disciplinaire d’interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement ou de recherche dans l’établissement universitaire concerné pendant un an, avec privation de la totalité du traitement.

Le harcèlement sexuel justifie la résolution judiciaire du contrat de travail


👩‍🏫 La démonstration est toujours la même en matière de harcèlement : la charge de la preuve ayant été aménagée au bénéfice des plaignants, il appartient à la personne s’estimant victime de harcèlement sexuel d’apporter des éléments de nature à présumer l’existence d’un tel harcèlement. Il revient au juge de les examiner et de les apprécier dans leur ensemble.
Dans l’hypothèse où ses éléments permettent de présumer l’existence d’un harcèlement, il incombe à l’employeur de rapporter la preuve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement, et pour ce faire, de démontrer que les décisions prises sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

🏦 Ainsi dans une affaire jugée par la Chambre sociale le 15 février 2023, la Cour de cassation a constaté que les éléments avancés par la salariée étaient susceptibles de constituer un harcèlement sexuel, qu’en outre l’employeur ne justifiait pas d’éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Dès lors, la Cour a pu retenir que la gravité des faits justifiait la résiliation judiciaire du contrat de travail, laquelle produisait dès lors les effets d’un licenciement nul.

Réf. : Cass., soc. 15 février 2023, n° 21-23.919

⚖ Harcèlement sexuel par un supérieur hiérarchique au sein de l’Armée

Le harcèlement sexuel dans le milieu professionnel n’est pas un mythe dans notre société, et reste largement présent, malgré des campagnes et des prises de conscience depuis une dizaine d’années.

🔢 D’après le site du ministère de l’Intérieur, 1 million de femmes ont été confrontées au moins une fois à une situation de harcèlement sexuel au travail ou bien dans un espace public en 2017.

🔢 L’Organisation Internationale du Travail a mené une étude sur 4,5 millions de salariés français entre 2017 et 2019, qui révèle que 52 % de femmes ont été victimes de harcèlement sexuel au travail.
Seules 4 % d’entre elles ont déposé plainte.

📰 Concernant les Armées, le ministère de la Défense compte 80 % d’hommes et 20 % de femmes… qui constituent 88 % des victimes ayant saisi la cellule Thémis, cellule de lutte contre les harcèlements sexuel et moral, la violence et la discrimination.

L’appréhension du harcèlement sexuel par le droit du travail et sa pénalisation sont susceptibles d’avoir des conséquences dans la sphère professionnelle, outre une condamnation pénale.
Et le fait qu’il soit commis par un supérieur hiérarchique en fait une circonstance aggravante.

Sur le plan pénal, l’aggravation de l’infraction porte les peines initiales encourues de 2 ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende, à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende.

C’est ce qu’a illustré la Chambre des appels correctionnels de la Cour d’appel de LYON dans un arrêt rendu le 12 septembre dernier.