La saga du CEA Grenoble

Dernier rebondissement dans cette affaire, par un arrêt de la Cour de cassation du 12 juin dernier, concernant la sanction en matière d’agissements sexistes.

1️⃣ Retour sur cette affaire, en examinant d’abord les faits :
Un technicien supérieur salarié depuis plus de 20 ans au sein du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), établissement public à caractère technique et industriel, a été licencié pour faute en 2016.

2️⃣ La procédure :
Saisissant la justice pour contester cette sanction, le salarié a été débouté de ses demandes par jugement du Conseil de Prud’hommes de Grenoble le 15 février 2021.

En appel, il a obtenu gain de cause.
Par un arrêt du 2 février 2023, la cour d’appel de Grenoble établit que plusieurs agissements sexistes, constitués de propos à connotation sexuelle concernant des collègues de sexe féminin, sont matérialisés. Mais qu’aucune sanction n’ayant été prise jusque-là par l’employeur, ce dernier n’était pas fondé à licencier ce salarié en raison de ces faits.

L’employeur a formulé un pourvoi en cassation, examiné par la Haute juridiction et faisant l’objet d’un arrêt rendu le 12 juin 2024.

3️⃣ La solution :
La Cour de cassation rappelle l’obligation de sécurité à laquelle tout employeur est tenu, ce qui implique la mise en oeuvre de mesures concrètes pour assurer la santé et protéger la sécurité des salariés placés sous son autorité. Cela inclut la cessation des faits, et parmi ceux-ci ; les agissements sexistes.

👉 Elle explique que, à partir du moment où la cour d’appel a constaté la matérialité des agissements sexistes, quand bien même l’employeur n’aurait mis en oeuvre aucune mesure de sanction au préalable, ces faits constituent en eux-mêmes une faute, laquelle caractérise la cause réelle et sérieuse dans le cadre d’un licenciement.

4️⃣ La portée de cet arrêt :
Elle est significative en matière de sanction des violences sexistes et sexuelles au travail. Effectivement, la Cour de cassation explique qu’en matière d’agissements sexistes, le licenciement figure parmi les sanctions possibles.

Nous ajouterons que toute sanction devant être nécessaire et proportionnée, il convient d’individualiser les sanctions en fonction de la situation.

⚖ Jurisprudences récentes sur la communication du rapport d’enquête interne

💡 Quelques précisions sur l’enquête interne :
Décidée par la direction d’une entreprise, l’enquête interne a pour but de faire la lumière sur des faits susceptibles de constituer des fautes professionnelles, des manquements voire des agissements délictueux.
Cette procédure interne a pour objectif d’établir la véracité et la matérialité des faits évoqués.
Si des faits fautifs sont ainsi mis en évidence, l’employeur doit sanctionner le ou les auteurs identifiés.
Or dans l’échelle des sanctions, si celles-ci doivent être nécessaires et proportionnées à la faute commise, elles peuvent aller jusqu’au licenciement.

Toute la question est de savoir si le dossier d’enquête peut/doit être communiqué au salarié sanctionné.

Deux arrêts récents apportent des précisions sur le sujet, soulignant la délicate conciliation entre principes opposés : le contradictoire et les droits de la défense d’un côté & la protection des salariés et la confidentialité des témoignages de l’autre.

🏛 Dans un arrêt du 19 janvier 2024, la cour d’appel de Toulouse a estimé comme étant valable le refus du juge des référés de contraindre la société à la transmission d’éléments de l’enquête interne dès lors que cette transmission n’est pas indispensable.
Dans les faits, d’autres éléments que l’enquête étaient notamment mentionnés dans la lettre de licenciement, susceptibles de motiver la décision de l’employeur.

🏛 A l’inverse, à partir du moment où la personne exclue n’a pas été en mesure de connaître de manière précise les manquements qui lui sont reprochés, elle est fondée à demander la communication forcée du rapport d’enquête.
C’est ce qu’a estimé la Cour d’appel de Paris statuant en référé le 18 janvier dernier.
Plusieurs précisions quant à cette espèce : la personne exclue de l’association se trouvait être un bénévole membre du conseil d’administration et en tant que tel non assujetti aux règles relatives au droit du travail. En outre, la décision d’exclusion se basait exclusivement sur le rapport d’enquête, sans pour autant formuler de griefs précis.

En résumé, dès lors qu’une personne est licenciée, elle doit avoir une connaissance précise des manquements qui lui sont reprochés. Dès lors que cette condition est remplie, elle n’a plus d’intérêt légitime à obtenir le rapport d’enquête interne.

Vous souhaitez en savoir plus sur l’enquête interne 👉 contactez-nous !

L’âgisme, un des 26 critères de discrimination reconnus par la loi et la jurisprudence

L’âgisme regroupe les stéréotypes liés à la façon d’envisager l’âge quel qu’il soit, les préjugés sur ce qu’inspire l’âge et la façon de se comporter, dont tout un chacun peut être victime. En effet, l’âgisme touche tout le monde.
Instinctivement, on peut penser aux comportements condescendants adoptés envers les personnes âgées. Mais selon l’OMS, l’âgisme s’illustre dans un panel plus large de situations, par exemple en matière de politiques tendant au rationnement des soins de santé en fonction de l’âge, ou encore dans les pratiques qui limitent les possibilités des jeunes de contribuer à la prise de décision sur le lieu de travail.

📕 En droit, on parle de discrimination à raison de l’âge dès lors qu’une décision est prise sur ce fondement qui empêche l’accès à un bien, un service, un emploi… Une telle décision est illégale.
⚠ Par exemple, l’accès à un emploi conditionné à une limite d’âge est une discrimination, et en tant que telle, prohibée par la loi. Le Code du travail pose un principe de non discrimination, repris par le Code général de la fonction publique. Il s’agit en outre d’un délit, prévu par le Code pénal, et réprimé de 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende.

📈 En matière d’accès à l’emploi toujours, 47 % des seniors indiquent avoir subi une discrimination à raison de l’âge. Et pour 75 % des managers, l’âge joue défavorablement à l’embauche.

Sur l’employabilité, les chiffres sont assez constants : la HALDE soulignait il y a plusieurs années que la France n’employait que 37% des personnes âgées de 54 à 64 ans, soit 5 points en dessous de la moyenne de l’Union européenne. A l’inverse, la Suède présente un taux d’activité des 54-65 ans de 70 % ! Ce qui a peu évolué aujourd’hui…

A l’échelle mondiale, selon un rapport des Nations Unies de mars 2021, 1 personne sur 2 aurait des attitudes âgistes !

💡 Un parallèle peut se faire en matière d’âgisme, en comparaison avec l’idéologie sexiste. En effet, le sexisme se décline en sexisme hostile, bienveillant et ambivalent.
Pour l’âgisme, c’est pareil ! Il peut être hostile, avec des propos et comportements agressifs voire violents. Il peut aussi s’exercer de manière bienveillante, en apparence. En réalité, sous couvert de protection des aînés, sont justifiés des comportements véhiculant de la pitié et de la sympathie visant par exemple à les exclure (limiter les visites), restreindre leurs droits (limiter leurs sorties et activités, restreindre leur droit aux soins).

D’ailleurs, l’OMS a pu relever que ce type de comportements s’est aggravé pendant la crise sanitaire, et noter que « dans certains cas, l’âge a été utilisé comme seul critère pour déterminer l’accès aux soins médicaux et aux traitements d’importance vitale et justifier l’isolement physique ».

Actualité jurisprudentielle sur les VSS, une victoire pour les victimes

👩‍⚖️ Dans son arrêt de chambre (non définitif), rendu le 18 janvier 2024, dans l’affaire Allée c. France, la CEDH s’est prononcée à l’unanimité sur la violation de l’article 10 relatif à la liberté d’expression.

Et elle a condamné la France à indemniser cette requérante, qui dénonçait publiquement des violences sexuelles commises par son employeur et qui pour cela, a été condamnée pour diffamation.

La Cour a souligné la nécessité d’apporter la protection appropriée aux personnes dénonçant des faits de harcèlement moral ou sexuel dont elles s’estiment les victimes.
Ici, elle considère que les juridictions nationales, en refusant d’adapter aux circonstances de l’espèce la notion de base factuelle suffisante et les critères de la bonne foi, ont fait peser sur la requérante une charge de la preuve excessive en exigeant qu’elle rapporte la preuve des faits qu’elle
entendait dénoncer.
➡ En résumé, pour la CEDH, on ne peut pas demander à une victime d’apporter les preuves accablantes de ce qu’elle dénonce. Ce qui est d’ailleurs le principe en droit pénal français, avec un aménagement de la charge de la preuve en la matière…

Sur l’aspect diffamatoire des révélations, la Cour relève que le courriel envoyé par la requérante à 6 personnes dont une seulement était hors de la structure d’emploi, n’a entraîné que des effets limités sur la réputation de l’auteur présumé.

Enfin, et surtout la requérante avait été condamnée par les juridictions nationales.
Et même si l’amende était relative (500 euros en première instance), la CEDH indique que l’effet dissuasif d’une telle condamnation serait susceptible de décourager les victimes de dénoncer des VSS.

Une décision à suivre…


Réf. : CEDH, Aff. ALLÉE c. FRANCE, 2024, 001-230297

Quelques jurisprudences de la Cour de cassation en matière d’enquête interne

En droit privé, l’enquête interne est obligatoire pour tout employeur qui a connaissance de faits pouvant s’apparenter a minima à du harcèlement, moral ou sexuel.

A défaut, l’employeur commettrait un manquement à son obligation de prévention des risques professionnels sur le fondement des articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail. Et le salarié pourrait obtenir réparation du préjudice, indépendamment de toute procédure intentée par ailleurs contre l’auteur du harcèlement, et quand bien même les agissements visés ne seraient in fine pas constitués. C’est ce qu’a décidé Chambre sociale le 27 novembre 2019.

L’éventualité de l’engagement tardif d’une enquête n’est pas non plus de nature à considérer comme remplies les obligations légales de l’employeur.
Ainsi, dans une affaire jugée en mars 2022, le déclenchement tardif d’une enquête interne, alors même que l’employeur était informé de faits anciens susceptibles de constituer un harcèlement moral, constitue une faute de nature à engager sa responsabilité.

Et la Cour de cassation a confirmé la même année, qu’une enquête interne, maladroite et partiale, constitue un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Références :
Cass. Soc., 27 novembre 2019, n°18-10.551
Cass. Soc., 23 mars 2022, n°20-23.272
Cass., soc., 6 juillet 2022, n° 21-13.631

Le harcèlement d’ambiance, de quoi s’agit-il ?

Innovation jurisprudentielle, le harcèlement d’ambiance a émergé en France ces dernières années.

De quoi s’agit-il ? Que dit la loi ? Quel est l’apport à la notion plus large de harcèlement ? Qu’est-ce que cela implique pour les employeurs, les auteurs de harcèlement, les victimes ?

Le cadre légal en vigueur :

Le harcèlement sexuel, défini par la loi du 6 août 2012, prévoit qu’il est constitué par « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

Une évolution du cadre légal :

Dans sa rédaction antérieure à 2012, l’article L. 1153-1 du Code du travail définissait le harcèlement sexuel au regard du but poursuivi de son auteur, qui à l’époque, visait uniquement la volonté d’obtenir des faveurs de nature sexuelle.

Or, le harcèlement n’est pas que cela, et depuis la loi du 6 août 2012, le Code du travail vise des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés, qui ont deux séries de conséquences :
– soit de porter atteinte à la dignité du salarié visé en raison de leur caractère dégradant ou humiliant,
– soit de créer à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

La finalité initialement recherchée, à savoir des faveurs de nature sexuelle, a disparu et la loi désormais se place non plus du point de vue moral de l’auteur, mais selon l’effet produit sur la victime.
C’est dans ces conditions, qu’une jurisprudence a pu, au visa de ce texte, enrichir la notion de harcèlement.

Une jurisprudence novatrice :

Un arrêt de la Cour d’appel d’Orléans rendu le 7 février 20171 a reconnu qu’une salariée, sans être directement visée par les agissements de harcèlement sexuel – photographies pornographiques, propos dégradants sur les femmes – subissait au quotidien un environnement de travail particulièrement hostile rendant ses conditions de travail insupportables.

La cour l’a ainsi considérée victime de harcèlement sexuel d’ambiance, notion novatrice élargissant la notion telle qu’issue de la loi du 6 août 2012.
Plus encore que la reconnaissance, la Cour a sanctionné un environnement de travail sexiste, où une atmosphère de travail hostile provoquant le malaise des plaignant.es peut suffire à le qualifier comme tel.

Dans le cas d’espèce, cet environnement sexiste se manifestait par :
– des propos sexistes
– des insultes graveleuses
– des « plaisanteries » à connotation sexuelle dirigées à l’encontre des collègues féminines
– des conversations et bruitages dégradants tenus en présence de la plaignante
– des provocations, blagues obscènes et vulgaires imposées à la communauté de travail, alors même qu’elles ne visaient pas nommément ni précisément les salariés qui s’en sont dit offensés.

L’employeur a objecté le fait que « ces évènements vulgaires […]n’étaient pas personnellement destinés [à la plaignante] et que la qualification de harcèlement sexuel suppose des propos et comportements à connotation sexuelle directement imposés à la victime »2.

La Cour ne l’a pas entendu de cette oreille, et c’est au visa de l’article L. 1153-1, 1° du Code du travail qu’elle a estimé que « le harcèlement sexuel peut consister en un harcèlement environnemental ou d’ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables ».

Une condamnation au regard des EFFETS du harcèlement :

Le comportement de harcèlement sexuel doit être incriminé à deux titres :
– au regard de son objet : c’est-à-dire l’objectif poursuivi par l’auteur,
– au regard de ses effets : c’est-à-dire l’atteinte à la dignité de la personne victime ou bien la création d’un climat de travail qui soit hostile et offensant. Ces effets se mesurent notamment par la dégradation de l’état de santé du plaignant. C’était le cas en l’espèce.

Ce qui est intéressant ici, d’un point de vue juridique, c’est que la cour ne s’est pas basé sur la personne plaignante en tant que destinatrice des propos, insultes, blagues graveleuses, qui ne la concernaient même pas, mais sur les effets de ces propos, insultes, blagues graveleuses.
Et ces agissements ont eu pour effet la dégradation objective de son état de santé. Ce que la plaignante a pu matériellement prouver.

L’intervention du Défenseur des droits :

Le Défenseur des droits est une autorité administrative indépendante, qui est intervenue à l’audience précitée.
Il avait à cette occasion, rappelé que l’article L. 1153-1 du Code du travail, issu de la loi du 6 août 2012, opérait transposition de la directive européenne posant définition du harcèlement sexuel.
Cette directive n°2006/54/CE du 5 juillet 2006 fait du harcèlement une discrimination à part entière. Plus intéressant encore dans notre cas d’espèce, elle érige comme éléments constitutifs de l’infraction lesdites conséquences du harcèlement, à savoir l’atteinte à la dignité de la victime ou l’environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant3. C’est-à-dire que la finalité du harcèlement n’est plus la recherche de faveurs sexuelles mais l’atteinte à la dignité ou l’environnement hostile.

En quoi c’est novateur :

La loi et la jurisprudence ont fait avancer l’incrimination et la répression du harcèlement ces dernières années, à ce titre facilité la charge de la preuve, et l’obligation mise à la charge de l’employeur de prévenir le harcèlement au sein de son entreprise :

>>> La charge de la preuve :

La loi n°2016-1088 du 8 août 2016 refond la rédaction d’un article L. 1154-1 du Code du travail en matière de charge de la preuve4.
Ce texte prévoit désormais que, dans le cadre d’un litige relatif à des faits de harcèlement, le plaignant doit apporter « des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement ». C’est-à-dire qu’il ne doit plus rapporter une preuve matérielle parfaite et irréfutable, mais présenter des éléments, un faisceau d’indices, laissant envisager la possibilité de l’existence de faits de harcèlement.

Et l’alinéa 2 de poursuivre qu’au vu de ces éléments, il appartient alors au défendeur démontrer que ces éléments ne sont pas constitutifs de harcèlement, et que les éventuelles décisions prises l’ont été au vu d’éléments objectifs étrangers à tout fait de harcèlement.
Et c’est finalement le juge qui tranche, après avoir analysé ces différents éléments.

Cette nouvelle disposition est innovante, en ce qu’elle décharge le plaignant d’une obligation particulièrement lourde ; en effet, en matière de harcèlement, la preuve est délicate à rapporter tant le harcèlement est difficile à appréhender. Il est souvent verbal, rarement écrit, et ne se résume pas des insultes, mais plutôt à une succession de remarques, piques, propos acerbes, remarques ironiques, désagréables, disqualifiantes, souvent faites à huis clos ou devant témoins, peu nombreux, et rarement susceptibles de dénoncer les faits.

>>> L’obligation à la charge de l’employeur :

Il convient de rappeler que l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat, en vertu de l’article L. 4121-1 du Code du travail.
A ce titre, il est tenu d’assurer la sécurité de ses salariés, et doit notamment prendre les mesures nécessaires en vue de prévenir le harcèlement, moral ou sexuel, d’y mettre un terme et le cas échéant, de le sanctionner.
Dans la mesure où il satisferait pas à son obligation, il serait susceptible d’engager sa responsabilité, civile. C’est-à-dire qu’un salarié pourrait tout à fait le poursuivre devant le Conseil de Prud’hommes, pour manquement à son obligation de sécurité, indépendamment de toute action à l’encontre de l’auteur du harcèlement

La difficulté s’agissant du harcèlement sexuel d’ambiance est que celui-ci a la particularité d’être produit par la communauté de travail elle-même. Dans ces conditions, un employeur peut très vite se montrer dépassé.
Dès lors, il est vivement conseillé aux employeurs de mettre en place en amont des sessions de formation à destination de toutes ses équipes, qu’elles soient dirigeantes, responsables, exécutantes.
De même, il est vivement recommandé de pratiquer une tolérance zéro, et à cet égard de prendre toute mesure disciplinaire à l’encontre de chaque salarié auteur de fait de harcèlement, qu’il vise personnellement un autre salarié, ou qu’il soit constitutif de harcèlement d’ambiance. Si ces faits ne peuvent être sanctionnés sur le fondement du harcèlement en ce qu’il suppose une répétition des faits, d’autres incriminations existent : l’agissement sexiste5, la prohibition des discriminations6

Illustration :
À La Réunion, le Conseil des prud’hommes a condamné un employeur à réintégrer une salariée à qui un cadre avait tenu des propos à connotation sexuelle. Il a en outre été condamné à lui payer 4 ans de salaire7
C’est une décision dont les conséquences sont lourdes, pour l’employeur.
En cela, elle constitue un signal envoyés aux employeurs. Ils sont tenus, cela fait partie de leurs obligations, de protéger leurs salariés de telles atteintes. Ne le faisant pas, ils s’exposent à être condamnés.

D’autres exemples de harcèlement sexuel d’ambiance :

Sans prétendre à l’exhaustivité, voici quelques exemples de harcèlement sexuel d’ambiance, certains vus dans les tribunaux, d’autres entendus ou rapportés :
– Le calendrier de charme ou pornographique affiché dans un espace « public », comme les machines à café, le bureau d’un open space, une banque d’accueil…
– Les posters pornographiques, les fonds d’écran ou écrans de veille explicites, les montages photos pornographiques…
– Les blagues sexistes, graveleuses, obscènes, dans l’open space, à la machine à café, au réfectoire dès lors qu’elles peuvent être entendues par des tiers qui ne les ont pas sollicitées,
– Les propos dénigrants et disqualifiants récurrents à l’endroit d’une communauté en particulier,
– Les récits de péripéties sexuelles,
– Le fait d’imposer à son équipe de mimer des actes sexuels pour avoir le droit d’aller en pause…

Pourquoi le pénaliser ?

Le harcèlement a des effets particulièrement délétères sur les personnes qui le subissent, leur entourage immédiat et l’environnement au sens large.
Pour les victimes directes, on parle de dégradation des conditions de vie, de la santé mentaleanxiété, troubles du sommeil, dépression… – mais également de l’image de soi
Les manifestations qui doivent alerter sont : la baisse de motivation ; les retards répétés ; l’augmentation des absences, justifiées ou non, des arrêts de travail.

Au niveau de l’entreprise, un fort taux d’absentéisme, de retards, d’arrêts de travail voire un turn-over important sont autant de signes faibles qui doivent alerter.

Enfin, le harcèlement d’ambiance en ce qu’il banalise voire légitime un environnement hostile notamment à l’égard des femmes et des minorités, constitue en lui-même une violence sexiste et sexuelle, et rend possible la survenance d’autres violences sexistes et sexuelles, telles que les agressions sexuelles ou les viols. C’est ce qu’on appelle le continuum des violences. Ce sont des délits.

Pour en savoir plus, n’hésitez pas à nous contacter : contact@projet-callisto.fr

1CA Orléans, 7 févr. 2017, no 15/02566
Lire la décision : https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=19256

2https://www.lextenso-etudiant.fr/article-%C3%A0-la-une-p%C3%A9nal-social/le-harc%C3%A8lement-sexuel-d%E2%80%99ambiance
3 op.cit.
4A noter que cette disposition n’était pas applicable au cas jugé par la Cour d’appel d’Orléans en 2017, car le litige était antérieur à l’entrée en vigueur de ladite loi.
5Article L. 1142-2-1 du Code du travail
6Article L. 1132-1 du Code du travail
7https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/c-est-mon-boulot/attention-au-harcelement-sexuel-d-ambiance_2678844.html

Le sexisme, c’est quoi ?

Comment définir le sexisme ?

Le sexisme se caractérise par le fait d’être discriminé en fonction de son sexe.

La notion de sexisme induit un rapport plus ou moins hiérarchique entre les deux sexes, et recouvre expressions et comportements qui méprisent, dévalorisent et discriminent un sexe.
Les deux sexes sont concernés, et peuvent ainsi être visés par des propos ou attitudes sexistes.
En pratique, ce sont le plus souvent des femmes qui sont victimes de sexisme.

C’est-à-dire qu’en France, en 2021, le simple fait d’être une femme constitue une cause de discrimination.
Et le sexisme au travail est une réalité pour plus de 8 femmes sur 10, d’après le baromètre du collectif #StOpE1. Ce sentiment est d’ailleurs partagé par 60 % de leurs collègues masculins.

Le sexisme est le principal obstacle à l’égalité homme-femme.

Que dit la loi ?

La loi réprime désormais le sexisme au travers de plusieurs incriminations, parmi lesquelles : l’outrage sexiste.

Depuis une loi récente du 3 août 2018, selon l’article 621-1 du Code pénal, constitue un outrage sexiste le fait d’ « imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

L’outrage sexiste est une contravention de 4ème classe, sanctionnée d’une amende pouvant aller jusqu’à 750€.
Dans les formes aggravées, il fait encourir une contravention de 5ème classe, soit 1.500 € maximum et 3.000 € en cas de récidive.
Des peines complémentaires peuvent être décidées par le juge, de type travaux d’intérêt général ou stage.

Dans le cadre du travail spécifiquement, l’agissement sexiste est prévu et réprimé par l’article L. 1142-2-1 du Code du travail. Ce texte précise que « nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».

Trois éléments doivent être réunis :

  • l’existence d’un ou de plusieurs éléments de fait, protéiformes (comportement, propos, acte, écrit), subi(s) par une personne, c’est-à-dire non désiré(s),
  • la finalité de l’agissement : il doit avoir pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité du/de la salarié.e ou bien de créer un environnement de travail intimidant, hostile, humiliant ou offensant,
  • l’existence d’un lien entre les agissements subis et le sexe de la personne : un.e salarié.e subit ces agissement(s) de manière répétée parce qu’elle est une femme, ou parce qu’il est un homme.

Plusieurs sanctions de l’agissement sexiste sont possibles, qui visent tout à la fois l’auteur des faits mais aussi l’employeur :
L’auteur encourt une sanction disciplinaire, en vertu de l’ article L. 1331-1 du Code du travail.
Il convient de préciser que, dès lors que l’agissement sexiste se répète, c’est-à-dire à partir du moment où il survient 2 fois, il s’agit alors de harcèlement sexuel. Dans ces conditions, l’employeur peut voir sa responsabilité engagée, s’il est avéré qu’il n’a pas mis en œuvre tous les moyens pour prévenir et faire cesser le harcèlement.

Exemples :

Le sexisme en entreprise, c’est un large faisceau d’attitudes et de comportements, immédiatement visibles pour certains, difficilement perceptibles pour d’autres. Ce sont notamment :

  • Des blagues sexistes : qu’elles soient graveleuses, lourdingues, dénigrantes envers les femmes, « 8 collaboratrices sur 10 affirment en avoir déjà entendu, de même que 3/4 des hommes », toujours selon le baromètre du collectif #StOpE.
  • Des propos dénigrants, méprisants, sur les femmes, leurs capacités, leurs activités : « trucs de bonnes femmes », « femme au volant, mort au tournant », « retourne à ta cuisine »
  • Des insultes : c’est ce qu’a sanctionné la Cour d’appel de Colmar dans un arrêt du 27 octobre 20202 où un chef d’équipe insultait régulièrement deux employées, en raison de leur sexe.
  • Plus surprenant pour certain.e.s, ce sont également les quolibets en apparence « mignons » mais qui relève du sexisme ordinaire dit bienveillant, de type « ma mignonne », « ma jolie », « ma petite »…
  • Il s’agit aussi de traitements différents visant les femmes, en comparaison de leurs homologues masculins.
  • C’est encore la remise en cause des capacités, performances d’une femme à manager, diriger une équipe, piloter un projet. A ce titre, d’après le baromètre susmentionné, « 44% des collaboratrices ont déjà entendu des propos disqualifiants à l’égard de l’aptitude managériale d’une femme et 43% pour ce qui est de diriger un service ou une entreprise ».
  • Ce sont encore des propos, préjugés, stéréotypes liés à la maternité ou au temps partiel.
  • Moins visibles, ce sont encore les freins faits aux femmes à leur évolution professionnelle, en raison de leur sexe. Plus de la moitié des femmes interrogées le déplorent.

Attention ! Le sexisme ne vise pas uniquement les femmes : environ 4 hommes sur 10 ont déjà été la cible de propos sexistes.
La mécanique sexiste est identique : les hommes visés sont comparés aux clichés masculins, aux attentes de la masculinité telle qu’elle est véhiculée dans la société, et sont dénigrés s’ils n’y correspondant pas.
Tel est le cas d’une équipe offrant à un collègue, à l’occasion des fêtes de fin d’année, un abonnement à la salle de sport pour que celui-ci « s’endurcisse et ne ressemble plus à une femmelette mais à un vrai homme ».
Ce sont encore les propos stigmatisant relatifs à la paternité : les hommes prenant un congé parental ainsi que la loi le leur permet depuis le 1er juillet 2021, sont parfois mal vus et malmenés au sein de leur entreprise3.

Dans tous les cas, peu importe le sexe de la personne qui en est destinatrice, ces remarques, propos, attitudes, comportements, sont inacceptables !

Comment lutter contre ces pratiques ?

La formation des dirigeants, responsables ainsi que des équipes est plus qu’indispensable, pour sensibiliser le plus grand nombre sur ces questions, favoriser la prise de conscience, libérer la parole et sanctionner ces comportements.

Dans la même logique, prévoir des incriminations est un premier pas, appliquer de manière effective les sanctions prévues en est une autre. Que ce soit les entreprises ou bien les juridictions, cela envoie d’ailleurs un message fort, clair qui rappelle le cadre, à savoir une société qui ne tolère pas le sexisme, sous quelque forme que ce soit.

1 https://www.helloworkplace.fr/sexisme-travail-femmes-2/

2Cour d’appel de Colmar, 27 octobre 2020, n° 18/03210

3https://www.capital.fr/votre-carriere/il-est-insulte-par-son-patron-pour-avoir-demande-le-conge-parental-1413241