Administration de la preuve en matière de licenciement : il est possible d’installer une vidéosurveillance sans en informer ses salariés, à certaines conditions…

Toujours très intéressante la question de la loyauté de la preuve en matière sociale !

🏛 Dans un arrêt remarqué du 14 février 2024, la Chambre sociale a indiqué que l’employeur peut installer un dispositif de vidéosurveillance sans informer ses salariés si cela est proportionné au but poursuivi.

👩‍💼 Dans cette affaire, un employeur avait licencié une salariée pour faute grave, en raison de vols commis par celle-ci et repérés au moyen de la vidéosurveillance.
❌ Problème : les salariés n’avaient pas été informés au préalable de ce dispositif. Et c’est ce qu’a allégué la salariée tandis qu’elle conteste son licenciement en justice, estimant que la preuve apportée par l’employeur est illicite.

Mais les juges ne l’ont pas entendu de cette oreille.

La cour d’appel a estimé que le dispositif de vidéosurveillance était indispensable pour produire la preuve de vols et que dès lors, cette mesure est proportionnée au but poursuivi.

💡 La Cour de cassation indique à son tour que la preuve est recevable dans la mesure où le but poursuivi par l’employeur, ici la protection des biens de l’entreprise, est légitime.

En conclusion, lorsque l’utilisation d’un dispositif de vidéosurveillance est indispensable pour établir une preuve, il peut être utilisé par l’employeur sans qu’une information préalable n’ait été effectuée en direction des salariés.

 Le saviez-vous ?

Il existe 6 types de violences au sein du couple :

✖ Physiques : agrippement, bousculade, gifle, coup (avec ou sans objet)…
✖ Psychologiques : commentaires dépréciatifs, humiliation, chantage…
✖ Verbales : dénigrement, insultes…
✖ Sexuelles : agression sexuelle, viol (tout rapport contraint est juridiquement un viol), prostitution forcée…
✖ Administratives : spoliation des documents d’identité, du livret de famille, de la carte vitale et globalement de tout document permettant de réaliser une démarche (ex : facture établissant un justificatif de domicile).
✖ Économiques : confiscation du revenu (salaire, allocations familiales), spoliation des moyens de paiement (carte bancaire, chéquier), octroi d’un pécule, gestion des salaires et/ou des biens immobiliers par le conjoint…

Ces violences ne sont pas toutes visibles.
Bien souvent, les victimes n’en parlent pas, notamment parce qu’elles n’en ont pas conscience : les violences sexuelles par exemple sont souvent banalisées car associées aux obligations du mariage et au devoir conjugal.
De même, dans une société où la seule preuve tangible potentiellement acceptable est celle de la violence qui se voit, seules les violences physiques qui laissent des marques sont susceptibles de faire l’objet de dénonciations. Ce qui ne veut pas dire qu’elles seront systématiquement condamnées. Reste que, dans cette façon d’appréhender la violence, un très grand nombre d’entre elles passent sous les radars et ne sont pas révélées par les victimes.

Que vous voyez victimes, proches de victimes (ou que vous le pensiez) ou encore professionnels, un seul numéro à connaître : le #3919.
C’est le numéro national de référence pour l’écoute et l’orientation des femmes victimes de violences, plus spécifiquement des violences conjugales.

Le 3919 est gratuit et anonyme, accessible 24h/24 et 7j/7 y compris aux personnes malentendantes, et disponible dans 13 langues différentes.

L’IVG exercée par les sages-femmes : acte 3 de notre saga !

📕 Nous vous en avons parlé à plusieurs reprises ces derniers mois : un décret du 16 décembre 2023 prévoyait la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer des interruptions volontaires de grossesse instrumentales, jusque-là réservée aux médecins, à des conditions finalement restrictives.

En effet, les sages-femmes devaient justifier :
– du suivi d’une formation théorique en orthogénie ou d’une expérience professionnelle significative ;
– et du suivi d’une formation pratique, spécifiquement l’observation d’au moins 10 actes d’IVG par méthode instrumentale ainsi que la réalisation sous supervision d’au moins 30 actes.

Par ailleurs, le décret de décembre 2023 imposait la présence simultanée dans l’établissement d’un médecin spécialiste en orthogénie, d’un gynécologue-obstétricien, d’un anesthésiste et d’un plateau d’embolisation nécessaire à la gestion des complications éventuelles.
Sauf qu’en pratique, seuls les grands établissements répondent à ces conditions, excluant de fait les petites maternités et les établissements et services en sous-effectif.

💡 Un décret du 23 avril 2024 publié au Journal officiel le 24 avril modifie les conditions d’exercice de l’IVG instrumentale par les sages-femmes.
Le texte prévoit que l’IVG est désormais praticable par les sages-femmes aux mêmes conditions de sécurité que celles appliquées aux médecins, sans la supervision de médecins.
Cette compétence doit cependant être attestée en pratique par le suivi d’une formation théorique et pratique à l’IVG instrumentale et à la conduite à tenir en cas de complications liées à l’acte.

Ces modalités de prise en charge et de gestion des complications désormais identiques, doivent permettre d’améliorer l’accès à l’avortement sur le territoire, notamment au sein de plus petits établissements de santé.

A suivre…

Harcèlement discriminatoire en droit du travail

📕 L’article L. 1152-1 du Code du travail pose un principe général d’interdiction du harcèlement moral, indiquant parmi ses éléments constitutifs la répétition d’agissements de nature à dégrader les conditions de travail du salarié.

🏛 Si la répétitivité est un élément indispensable, la jurisprudence judiciaire a pu indiquer que lorsque le harcèlement moral prend la forme d’une discrimination prohibée, il peut être constitué même en cas de fait indésirable unique.
C’est ce qu’a décidé le Défenseur des droits dans des décisions des 1er juillet 2013 et 31 juillet 2014, suivi par la Cour d’appel de Rennes dans un arrêt rendu le 10 décembre 2014.

Ceci ne s’appliquait qu’au secteur privé uniquement et ce, pendant une période de dix ans.

👩‍⚖️ Mais récemment, la jurisprudence administrative semble avoir suivi ses homologues du judiciaire.
Dans une affaire du 5 mai 2023, le Défenseur des droits a estimé que le harcèlement moral discriminatoire peut être regardé comme constitué dès lors qu’un ou plusieurs agissements portant atteinte à la dignité, telles des injures racistes, conduisent notamment à une dégradation des conditions de travail ou de l’état de santé de la victime, y compris dans la fonction publique.

Harcèlement sexuel : la décision du juge pénal ne lie pas le juge civil

La relaxe par le juge pénal pour défaut de preuve de l’élément intentionnel du harcèlement sexuel n’empêche pas le juge civil de reconnaître le harcèlement sexuel. C’est ce qu’a dégagé la Chambre sociale le 25 mars 2020.

La justification : pour que le harcèlement sexuel soit constitué au pénal, il faut prouver l’élément intentionnel c’est-à-dire l’intention de harceler, ce qui n’est pas nécessaire en droit du travail. La Cour de cassation estime en effet que « la caractérisation de faits de harcèlement sexuel en droit du travail […] ne suppose pas l’existence d’un élément intentionnel ».

Ainsi, même si le mis en cause est relaxé devant le juge pénal pour défaut d’élément intentionnel, la/le plaignant.e pourra quand même être reconnu.e comme victime devant le juge civil et voir son préjudice réparé.

Et dans la continuité de la jurisprudence en matière de harcèlement sexuel au travail, une décision de relaxe du chef du délit de harcèlement sexuel n’emporte pas, en soit, disparition de la faute grave. Le licenciement pour faute grave prononcé par l’employeur peut rester parfaitement justifié (Cass., soc., 14 octobre 2009, n°08-42256).

Le harcèlement sexuel constitue une faute grave en droit du travail

👩‍⚖️ C’est une jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui depuis 2002, applique une tolérance zéro en la matière : les faits de harcèlement sexuel sont qualifiés de faute grave et justifient le licenciement de l’auteur des faits. La Chambre sociale l’a encore rappelé le 27 mai 2020.

👨‍⚖️ La jurisprudence administrative est de son côté plus « frileuse », qui évoque des comportements inappropriés ou de nature à justifier une sanction disciplinaire ; c’est notamment ce qu’a dégagé la Cour Administrative D’Appel De Douai en 2012.

✅ Mais en 2013, le Conseil d’État d’État a jugé que la mise à la retraite d’office et la radiation du corps des ministres plénipotentiaires d’un ambassadeur auteur de harcèlement sexuel ne constitue pas une sanction disproportionnée.

En 2014, la juridiction suprême de l’ordre administratif a estimé que les faits de harcèlement justifient l’exclusion temporaire de fonctions de 2 ans décidée par l’employeur.

Plus récemment en 2019, le Conseil d’État a validé la sanction disciplinaire d’interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement ou de recherche dans l’établissement universitaire concerné pendant un an, avec privation de la totalité du traitement.

Focus sur l’agression sexuelle

📕 Le Code pénal définit l’agression sexuelle comme toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise et dans certains cas lorsqu’elle est commise par un majeur sur un mineur.

Ainsi, l’atteinte sexuelle suppose un contact physique entre l’auteur et la victime.

🏛 Classiquement, la jurisprudence criminelle a admis la qualification d’agression sexuelle lorsque le contact porte sur les 5 zones dites sexuelles, à savoir le sexe, les fesses, la poitrine, la bouche et l’intérieur des cuisses.

Dès 1985, le contentieux en la matière met en évidence que le plus grand nombre des agressions sexuelles est constitué par des attouchements ou des caresses du sexe, des fesses, des cuisses, de la poitrine, éventuellement accompagnés de baisers sur le corps ou sur la bouche.

En dehors de ces cas, la qualification d’agression sexuelle peut être déduite du contexte dans lequel l’atteinte survient. C’est ce qu’a dégagé la Chambre criminelle le 3 mars 2021 dans une affaire où un homme venu consulter une bande dessinée érotique est appréhendé par le service de sécurité d’une médiathèque après s’être assis près d’une fillette, à qui il avait effleuré la main et la jambe tandis qu’il se masturbait.

Mais dès 1997, la jurisprudence avait déjà considéré que le fait de caresser le dos de la victime en passant la main sous son pull-over était constitutif d’une agression sexuelle.

La loi appréhende l’absence de consentement par la démonstration de la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Pour reprendre ce qui a pu être dit autour de la caractérisation du viol, « le consentement est présumé » et il revient alors à la victime de prouver que les faits ont été commis par violence, contrainte, menace ou surprise.

Dès 2001, la jurisprudence indique que l’absence totale de consentement est un élément constitutif de l’infraction, tout en tempérant elle-même ce principe, indiquant qu’en cas d’absence totale de consentement, le mis en cause « devait s’apercevoir que sa victime n’était pas tout à fait consentante ».

A titre d’exemple, s’agissant de la contrainte, celle-ci peut être physique ou morale.
La Cour de cassation apprécie la contrainte in concreto en fonction de la résistance de la victime. Plus récemment, il a été jugé que la contrainte peut résulter de l’emprise quotidienne de l’auteur des faits sur la victime.

Harcèlement moral et faute de l’agent dans la jurisprudence administrative

Traditionnellement, les agissements visés au titre du harcèlement moral doivent être répétés et excéder les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique. Ainsi, « dès lors qu’elle n’excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l’intérêt du service […] n’est pas constitutive de harcèlement moral ».

Dans le cas de la faute commise par l’agent harcelé lui-même, la jurisprudence la prend en considération dans le cas de l’engagement de la responsabilité de l’administration, conduisant à son partage. En effet, « la circonstance selon laquelle l’agent contribue, par son attitude, à la dégradation des conditions de travail dont il se plaint, est de nature à conduire à un partage de responsabilité entre l’administration et l’agent ».

❌ A l’inverse, le juge administratif tend à rejeter la qualification de harcèlement moral lorsque l’agent a fait l’objet de procédures disciplinaires, à partir du moment où elles sont justifiées. Bien évidemment dès lors que l’administration est en mesure de justifier objectivement des raisons pour lesquelles elle a sanctionné un agent, fautif.
C’est le cas dans une affaire jugée par la Cour administrative d’appel de Nancy qui démontre que l’administration, avant de révoquer son agent pour manque d’assiduité et de soin dans l’accomplissement des tâches, lui avait auparavant infligé, pour les mêmes motifs, toute la gamme des sanctions à sa disposition : deux avertissements, un blâme, et une suspension temporaire de 3 jours.

Enfin, le juge a pu retenir l’absence d’acharnement déplacé à sanctionner un agent dont les évaluations et notations font ressortir une indiscutable insuffisance professionnelle.

Jurisprudences harmonisées en matière de harcèlement sexuel sans répétition

Cela peut surprendre : traditionnellement le harcèlement s’entend de la répétition d’agissements.

📕 En effet, en matière pénale, dans sa version en vigueur depuis le 6 août 2018, l’article 222-33 du Code pénal dispose que « le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

🚨 Dès 2012, l’hypothèse de l’acte unique est envisagée puisque « est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ».

🏦 Ainsi en 2014, le Conseil d’État estime que des agissements non répétés, dès lors qu’ils revêtent un certain degré de gravité, sont constitutifs de harcèlement sexuel.

💡 Mais la Cour de cassation va plus loin, puisqu’en 2017 elle admet que le harcèlement sexuel peut être constitué par un acte unique, y compris lorsque l’auteur du harcèlement n’a pas usé de pressions graves.

Absence d’obligation relative à l’enquête dans le secteur public

Contrairement à ce qui a trait dans le privé, il n’existe aucune obligation légale ou réglementaire à diligenter une enquête administrative dans le secteur public, et ceci est régulièrement rappelé par la jurisprudence administrative (CAA de Paris, 18 mars 2022, M. B. A., n° 21PA01779 ; CE, 23 novembre 2016, M. A., n° 397324).

En conséquence, il ne saurait être reproché à une autorité administrative ou territoriale de n’avoir pas procédé à une telle enquête (CE, 15 mars 2004, M. Jean-Yves X., n° 255392).

Néanmoins, cela ne saurait exonérer la personne publique de sa responsabilité ; en effet, l’administration devra apporter la preuve qu’elle a mis en œuvre tous les moyens nécessaires pour prévenir et faire cesser, le cas échéant, des agissements au titre du harcèlement (CE, Sect. 24 novembre 2006, n° 256313 ; CAA Nancy, 15 novembre 2007, n° 06NC00990).

Ainsi il a été jugé que la carence de l’administration constitue une faute de service et l’administration peut être condamnée pour sa négligence et son inertie (CAA Paris, 28 mars 2017, n° 16PA03037).